samedi 22 février 2014

Comtes à dormir debout !

Emmanuel Lazinier

Comte souffre-douleur philosophique ?

Qui n'a pas connu, dans son enfance, ces pénibles scènes où toute une cour de récréation se ligue pour pourrir la vie d'un malheureux, choisi de préférence parmi ceux qui ne sont pas "comme tout le monde", et dont on peut supposer qu'ils ne sauront pas se défendre (et que nul ne prendra leur défense)... Il arrive que la vie de ces petites victimes devienne un tel enfer que le suicide leur paraîsse la seule porte de sortie, comme l'a vu dans un cas récent.

The Dominant Man, par 
Humphry Knipe & George  Maclay
(1972)
On aimerait croire ces phénomènes de défoulement collectif réservés au monde cruel de l'enfance. Et pourtant ils ont leur équivalent, toutes proportions gardées, dans le monde raffiné des intellectuels. Et les critères de sélection des victimes n'y sont pas différents : pas comme les autres, ne pourra pas se défendre, ne trouvera personne pour le défendre...

Il semblerait même que les intellectuels se délectent à cet exercice. Comme dans tout groupe social, humain ou animal, il se construit chez eux spontanément une échelle plus ou moins consciente de domination/soumission. Et rien n'est plus rassurant que de savoir, ou croire savoir, qu'on n'est pas en bas de l'échelle et qu'on n'y sera jamais parce qu'il existe des individus intrinsèquement inférieurs.

Il me paraît clair qu'un tel rôle a été implicitement assigné depuis quelques 150 ans à Auguste Comte. Comte, ou plutôt Conte, a été, est encore aujourd'hui, le penseur à qui l'on peut faire porter sans aucune vergogne tous les péchés du monde : un malade mental, un totalitaire assoiffé de domination qui a été le maître à penser de maint dictateur ; un style à vomir ; un piètre penseur qui a passé sa vie à se tromper...

Conséquemment, il n'est rien de stupide, de pervers, de grotesque qu'on ne puisse lui attribuer -- avec la certitude réconfortante que nul n'ira s'imposer la punition d'aller vérifier.

C'est ainsi qu'encore aujourd'hui on peut voir attribuer à Conte des délires aussi effarants que celui que j'ai relevé à la fin de mon précédent billet :


L'exemple est intéressant dans la mesure où il est fait allusion à un texte précis :
Je remarque d'emblée un détail révélateur : un épithète du texte incriminé a sauté : incomparable. Pourquoi ?

Je ne vois que deux hypothèses possibles :
  1. Wolf Lepenies n'a pas lu le texte original : il a travaillé de seconde main et l'épithète lui a échappé. C'est l'hypothèse la plus plus sympathique (celle  que Comte préconisait de toujours adopter) : WL serait un auteur négligent, qui ne vérifie pas ses sources.
  2. WL a lu le texte original, et il a sciemment retiré l'épithète pour que ça fasse plus vrai. Que Conte se prenne pour le fondateur de la République occidentale, c'est déjà assez fort. Qu'il se trouve en plus incomparable serait peut-être un peu dur à avaler pour le lecteur même crédule (on passerait de la mégalomanie au pur délire). Allez, on retire incomparable
***
Bien évidemment, ce billet est un work in progress qui s'enrichira à mesure que de nouveaux exemples viendront s'ajouter. Je n'aurai malheureusement aucune peine à en trouver !

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